IN MEMORIAM : | (1920-1998) |
«De tous les arts dont subsiste le témoignage, celui des Indiens de la côte nord-ouest est certainement l'un des plus grands. Mais, alors que les statuaires égyptienne, mésopotamienne et grecque, celle de la Chine des Song et celle du moyen-âge européen ont irrémédiablement disparu avec les hommes dont elles alimentaient le rêves, nous devons à Bill Reid, artiste incomparable, d'avoir entretenu et ranimé une flamme près de s'éteindre. Ce n'est pas tout; car Bill Reid a suscité par son exemple et par ses enseignements une prodigieuse floraison artistique, dont les dessinateurs, les sculpteurs et les orfèvres indiens de la Colombie britannique offrent aujourd'hui le spectacle à nos yeux émerveillés.»
Claude Lévi-Strauss, cité dans le catalogue de "Bill Reid: A Retrospective Exhibition", Vancouver Art Gallery, 1974
«Bill a découvert les ossements séchés d'un art majestueux et, comme un chaman, il en a secoué les couches de poussière accumulées dans les musées et lui a redonné vie.»
Traduction libre, d'après Bill Holm, cité dans le catalogue de "Bill Reid: A Retrospective Exhibition", Vancouver Art Gallery, 1974
«Son œuvre remet en cause la notion populaire selon laquelle l'essence de l'art découle de la recherche du nouveau, de l'innovateur, de l'avant-garde.»
Traduction libre, d'après Michael Ames, cité dans l'avant-propos de Karen Duffek, Bill Reid: Beyond the Essential Form, Vancouver : University of British Columbia Press, 1986
«Je me considère comme un homme parmi les plus heureux parce que j'ai vécu à une époque où certains des aînés haïdas et de leurs pairs des peuples de la côte ouest étaient encore en vie et que j'ai eu le privilège de les connaître.»
Traduction libre, d'après Bill Reid, cité dans l'introduction de The Raven Steals the Light, Vancouver : Douglas & McIntyre, 1984
«Le rôle qu'a joué Bill Reid dans la restauration de l'art de la côte ouest pourrait être décrit comme un cheminement qui a mené à une découverte de soi, à la découverte de son propre centre de créativité ancré dans les racines de la tradition et à une croissance et une ouverture vers l'extérieur depuis ce noyau culturel.»
Traduction libre, d'après Joan Vastokas, "Bill Reid and the native renaissance," Artscanada, nos.198/199 (June 1975), p.18
«Il a œuvré au sein de deux traditions culturelles plutôt différentes et en a franchi à maintes reprises les frontières avec une adresse tout à fait étonnante.»
Traduction libre, d'après Robert Bringhurst, au cours d'une entrevue à la SRC Stereo Ottawa, le 16 mars 1998
«Les bijoux qu'il a créés sont des œuvres miniatures de sculpture héraldique riche et souvent expressive qui transcendent la perception commune des bijoux de notre époque à titre d'objets coûteux simplement destinés à l'ornement humain facile.»
Traduction libre, d'après Doris Shadbolt, "The Well-Made Object," Canadian Collector, janvier/février 1987, p.19
«Les techniques d'orfèvrerie qu'il maîtrise lui ont permis de repousser les limites auparavant fixées par les maîtres qui l'ont précédé. Employant le repoussé, le moulage, la soudure et le recouvrement avec l'argent, Reid a prêté trois dimensions aux bijoux de la côte ouest. Autrefois, la technologie limitait à la simple gravure de motifs à la surface du métal.»
Traduction libre, d'après Karen Duffek, Bill Reid: Beyond the Essential Form, Vancouver : University of British Columbia Press, 1986, p.13
«La conception du plat de la Mère ourse est purement haïda -- extrapolation richement décorée des motifs indiens de l'ours inspirés de peintures et de mâts totémiques transformés en une réalité riche, humoristique et tridimensionnelle. En dépit des styles radicalement «différents» du couvercle et de la boîte, la mère humaine et le fier papa ours, les deux parties du modèle osé de Reid s'accordent sans détoner le moins du monde.»
Traduction libre, d'après Roger Downey, "Apprentice to a Lost Art," Pacific Northwest, vol.17, no.8 (octobre 1983), p.39
[au sujet de Le Corbeau et les premiers hommes]
«On considère que Reid a fait franchir une étape importante à la conception haïda en réalisant des sculptures entièrement libres qui reprennent les formes haïdas traditionnelles. En libérant son oiseau du mât totémique vertical, Reid semble lui-même s'être libéré de certaines des contraintes qui le liaient au passé.»
Traduction libre, d'après Edith Iglauer, "The Myth Maker," Saturday Night, vol.27, no.2 (février 1982), p.22
«[Ses sérigraphies] ne sont pas inspirées d'autres œuvres, mais manifestement influencées par ses broches. Cette influence est évidente dans le placement d'un motif central au contour net sur un fond clair. Ce motif contient une foule de détails fantaisistes, comme le veut une œuvre graphique... Dans cette optique, l'image la plus magistrale qu'il a créée jusqu'à présent est celle intitulée Les enfants de Corbeau, commandée à l'origine pour la salle de la Côte ouest du Musée national de l'homme, à Ottawa. L'image représente le Corbeau découvrant l'humanité dans une coquille de mye.»
Traduction libre, d'après Joan Lowndes, "Child of the Raven," Vanguard, vol.11, no.1 (février 1982), 23-24
«Ce qui fait avant tout que son nom est synonyme de la renaissance de l'art autochtone de la côte ouest, c'est le faste sobre de son œuvre et son flot lyrique. Il est le maître absolu, travaillant l'or, l'argent, le platine, le bois, l'argilite, l'ivoire et le cuivre tout en s'exprimant aussi par des moyens dont ne disposaient pas ses ancêtres haïdas, comme la sérigraphie et... l'écriture. Il travaille autant à l'échelle du mât totémique qu'à celui de la broche.»
Traduction libre, d'après Joan Lowndes, "Child of the Raven," Vanguard, vol.11, no.1 (février 1982), p.21
«L'œuvre maîtresse de Bill Reid est incontestablement L'esprit de Haida Gwaii, commandé par la compagnie R.J. Reynolds pour la nouvelle ambassade du Canada à Washington. Cette imposante sculpture, dont l'exécution a duré plus de trois ans, et qui a coûté 1,8 millions de dollars, a été dévoilée en 1992. Le modèle en plâtre ayant servi au moulage de la version en bronze s'harmonisait parfaitement à l'intérieur baroque en plâtre que l'architecte Douglas Cardinal avait créé pour le nouveau Musée canadien des civilisations. Bien avant l'achèvement du musée et son inauguration en 1989, j'avais laissé entendre à Maury et Mary Young, de Vancouver, les donateurs éventuels, que L'esprit de Haida Gwaii serait le fleuron de la Grande Galerie, témoignant que la culture autochtone de la côte nord-ouest n'était pas morte, mais que, à l'instar des chamans, elle renaissait de ses cendres.»
George F. MacDonald, L'art haïda, Vancouver : Douglas & McIntyre, p.228
«En tant qu'image des derniers temps de la culture haïda -- les figures à l'effigie d'un mât totémique tombé et de personnages qui peuplent les récits d'une langue étranglée réunies comme autant de "boat-people" mythologiques dans cette forme maîtresse, celle de la pirogue -- L'esprit de Haida Gwaii est une œuvre remarquablement autonome. Toutefois, la mer sur laquelle vogue la pirogue regorge d'échos qui rapprochent l'œuvre du monde qui l'entoure. Reid lui-même a relevé certains de ces liens, signalant après le fait par exemple des allusions à A.A. Milne et à Carl Sandburg ou, en plaisantant, la ressemblance au portrait de Washington franchissant le Delaware (Washington Crossing the Delaware)peint par Emanuel Leutze.
La pirogue noire est l'arche de Noé et l'Endeavour de Cook, le porte-étendard d'une culture et le radeau qui se désintègre de Huck et Jim. Elle est un cargo et un bateau de sauvetage, porteuse des trésors de la préhistoire, d'un chaman et de son entourage alors qu'ils voyagent à la limite des cieux. Elle évoque la mission diplomatique d'un peuple presque disparu qui sollicite les pouvoirs en place dans l'hémisphère. Elle est aussi un navire d'exploration, se frayant un itinéraire inconnu en eaux inconnues. Elle porte des êtres à la recherche d'autres êtres auxquels parler, avec lesquels célébrer, commercer et voire faire des mariages, et non d'un endroit où planter un drapeau.»
Traduction libre, d'après Robert Bringhurst, The Black Canoe: Bill Reid and the Spirit of Haida Gwaii, Vancouver : Douglas & McIntyre, 1991, p.76
«La pirogue de l'Esprit n'a pas été conçue de sorte qu'elle ait une signification générale au sens littéral. Je trouvais qu'elle était une bonne occasion de rendre hommage à tous les petits personnages rigolos qui ont posé pour moi en leur offrant une balade dans la pirogue familiale.»
Traduction libre, d'après Bill Reid, cité dans Tim Isaac, "Reid collaborates with Erickson on embassy," Kahtou, le 28 mars 1988, p.6
«Parce qu'il identifiait le clan de sa grand-mère et qu'il était le «héros» qu'Edenshaw avait célébré dans un si grand nombre de ses sculptures, le Corbeau a tenu dès le début une place privilégiée dans le bestiaire de Bill Reid. Aux yeux de Reid, cette place s'est cimentée lorsque s'est affirmé le personnage de Corbeau comme être magique premier, capable d'effectuer des transformations qui façonnaient le monde et suscitaient l'émerveillement, mais qui n'avait rien à voir avec des bonnes intentions pieuses, étant plutôt issu d'une intuition créative tout aussi heureuse qu'improbable et sous-tendue par un intérêt de soi détaché et franc. Survivant endurci ne se faisant plus d'illusions, mais capable d'affronter les imprévus de l'existence, le Corbeau -- peut-être le premier des existentialistes -- évoque un monde qui ne peut être réduit à un système net puisqu'il est de nature illogique et incompréhensible. Reid, maître de l'ironie et de la compréhension ravie, trouve en ce joueur de tours une créature qui est capable d'être son héros.»
Traduction libre, d'après Doris Shadbolt, Bill Reid, Vancouver : Douglas & McIntyre, 1986, pp.144-145
«L'art de Bill Reid, c'est l'art de la côte nord-ouest avec quelque chose de plus, quelque chose de nouveau ! Tout en restant profondément fidèle à ses racines, l'art de Reid est fortement imprégné de la personnalité de son auteur. C'est ce qui rend ses sculptures si parfaitement reconnaissables et surtout dignes de se placer sur la grande scène du monde.»
Claude Lévi-Strauss, cité dans "Bill Reid ou la renaissance de l'art Haïda," par Martine Reid and Muriel Tohmé, Geo, no. 229 (mars 1998), p.49
«Le Corbeau a peut-être créé le peuple haida, mais on prétend que Reid l'a recréé au XXe siècle. En faisant revivre l'art traditionnel de ce peuple, ce qui est déjà un exploit remarquable, Reid n'a fait que lance un mouvement, qui devait être lourd de conséquences. La renaissance de l'art haida a ressuscité la culture des Haidas de l'archipel de la Reine-Charlotte et contribué à la découverte d'une nouvelle volonté politique parmi eux.»
Richard Wright, "The Spirit of Haida Gwaii: La renaissance de l'art haïda," Enroute, mars 1991, p.88
«Sa vision amène les jeunes à tirer fierté des réalisations véritables de leurs ancêtres et à les imiter de façons nouvelles, pour que les Autochtones puissent revendiquer leur place dans le monde tout en demeurant distinctement haïdas.»
Traduction libre, d'après Karen Duffek, Bill Reid: Beyond the Essential Form, Vancouver : University of British Columbia Press, 1986, p.26
«En faisant renaître sous toutes ses formes plastiques et graphiques l'art de ses ancêtres Haïda, alors proche de l'extinction, il a donné un exemple qui, gagnant de proche en proche, a aidé les peuples de la côte Nord-Ouest a prendre pleine conscience que, par leur pensée et par leur art, ils constituaient ensemble une véritable civilisations. Grâce à Bill Reid, un prodigieux renouement s'est produit. Nous lui sommes à jamais redevables d'avoir revivifié et perpétué dans son œuvre, et dans celle de tous ceux qui marchent aujourd'hui sur ses traces, un art maintenant reconnu comme égal aux plus grands. Il a sauvé ainsi d'une perte irréparable le patrimoine culturel de l'humanité."
Claude Lévi-Strauss, d'une lettre en français (datée du 23 mars 1998) à Martine Reid à la mort de son mari
«Je n'ai jamais eu l'impression de faire quelque chose pour mon peuple, à part que je pouvais révéler les accomplissements des ancêtres au monde entier. Je pense que le style artistique de la côte ouest est un produit absolument unique, un des joyaux de la couronne de l'ensemble de l'expérience humaine. Je ne veux pas que tout cela sombre dans l'oubli sans que personne n'y ait jamais prêté attention.»
Traduction libre, d'après Bill Reid, cité dans Edith Iglauer, "The Myth Maker," Saturday Night, février 1982, p.24
Un rattachement étroit à l'art des Haida devait inévitablement me conduire à me sentir concerné par le peuple haida et ses problèmes; il m'amena concrètement, à la réalisation d'un mât héraldique qui orne la façade du siège du «Conseil de bande» de Skidegate et, plus récemment, à la fabrication d'un canoë de 16 mètres de long creusé dans un seul tronc, ainsi qu'à une participation active à des campagnes telles que celle qui se développe aujourd'hui pour la sauvegarde de la nature dans les Iles de Haida Gwaii.
Je n'ai cessé de prendre fait et cause pour la défense et la renaissance de l'art traditionnel des Haida, parce que je voulais faire connaître au monde les réalisations stupéfiantes de ce petit groupe d'individus qui semblent avoir été animés leur vie durant par le besoin obsessionnel de créer des objets à la fois parfaits et doués d'un pouvoir intense, obéissant à une esthétique aussi éloignée de celle des arts de reste du monde et aussi austère que les îles lointaines où elle prit naissance.
De même que l'œuvre de Charles Edenshaw a aidé les gens de ma génération à comprendre l'essence de la créativité des ses ancêtres, ainsi je souhaite que les objets qui sortent de mes mains jouent le rôle de «révélateurs» des représentations anciennes. Puissent les gens d'aujourd'hui et de demain prendre conscience de l'existence de la Côte Ouest et se sentir enrichis par la connaissance qu'ils auront acquise de ce témoignage extraordinaire de ce que l'homme peut faire.