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La mythologie des Haïdas, comme celle d'autres tribus de la côte centrale et septentrionale, se fonde sur le cycle épique de récits sur le Corbeau et ses divers exploits. Le Corbeau est un véritable filou qui libère l'humanité, enfermée dans une coquille de palourde, et qui ensuite, dans un récit, met de l'ordre dans l'univers, pour le menacer dans le suivant de le replonger dans le chaos. Le Corbeau est la créature la plus cupide, malicieuse et lubrique imaginable, mais, presque sans le vouloir, il enseigne aux humains comment mener une bonne vie. L'artiste haïda Charles Edenshaw pouvait à lui seul raconter de mémoire plusieurs centaines de récits différents sur le Corbeau.
Un des plus connus de ces récits raconte comment le Corbeau s'était déguisé pour pénétrer dans la maison du Chef du Ciel, auquel il déroba le soleil, la lune et les étoiles pour les donner à l'humanité. Dans un autre conte populaire, le Corbeau, qui avait faim, décida de nager sous l'eau pour manger l'appât des hameçons de certains pêcheurs de flétan. Cependant, un hameçon se fixa solidement dans son bec. Les pêcheurs se mirent tous ensemble pour tirer ce qu'ils croyaient être un énorme flétan, mais c'est le bec du Corbeau qu'ils sortirent de l'eau.
De nombreux récits décrivent des rencontres du Corbeau avec des êtres surnaturels et montrent comment il a obtenu d'eux pour les humains d'autres choses utiles, par exemple l'eau douce, le saumon, le barrage à poissons et la maison, qu'il a dérobée au Castor.
La plupart des objets haïdas sont ornés d'emblèmes - des figures d'animaux, d'oiseaux, de créatures marines et d'êtres mythiques - qui identifient immédiatement la moitié (Corbeau ou Aigle) et souvent le lignage du propriétaire. À un niveau plus subtil, la présence d'une figure emblématique, et particulièrement des petites figures aux oreilles, à la poitrine ou à la bouche de celle-ci, font référence à un mythe auquel elle est mêlée. On peut citer en exemple l'utilisation fréquente du Papillon par la famille Edenshaw sur la poitrine du Corbeau, ce qui fait référence à une série de mythes où le Papillon est le compagnon de voyage du Corbeau dans les récits de Masset (Swan, 10 août 1883, manuscrit). Dans la série de mythes de Skidegate, cependant, c'est l'Aigle qui accompagne le Corbeau dans ses voyages. Des détails de ce genre font qu'il est difficile de saisir la pleine signification d'un mât totémique si l'on n'est pas familier de l'ensemble de la mythologie, mais il n'y a personne aujourd'hui qui connaisse les milliers de mythes consignés dans diverses archives de musées. Le «texte» qui peut être associé à un mât donné est donc analogue à un texte maya en ce sens qu'on ne peut en saisir que des bribes.
Vers 1900, John R. Swanton a dressé une liste d'emblèmes grâce à des renseignements que lui ont fournis des artistes haïdas aussi versés en la matière que Charles Edenshaw, de Masset, John Cross et John Robson, de Skidegate, et Tom Price, de Ninstints. Ces hommes avaient tous une connaissance approfondie de la mythologie et savaient comment les motifs des emblèmes devaient être utilisés sur tout, des tatouages aux mâts totémiques. On se tatouait les cuisses, la poitrine, les épaules, les avant-bras, le revers des mains et même toutes les articulations des doigts.
Les Haïdas disposent de près de soixante-dix figures emblématiques, mais moins d'une vingtaine sont généralement employées. Quelques-unes étaient utilisées par de nombreux lignages, mais le plus grand nombre étaient réservées à quelques lignages seulement. L'Épaulard, qui est particulièrement présent dans l'art et la mythologie haïdas, est un emblème populaire. Tous les lignages du Corbeau utilisent comme emblème des formes diverses de l'Épaulard; l'une d'elles, l'Épaulard à nageoires- corbeaux, fait référence au mythe où le Corbeau s'est extirpé à force de coups de bec du corps d'une Baleine par l'extrémité de sa nageoire dorsale. Les lignages de l'Aigle de Ninstints n'utilisent que l'Épaulard à cinq nageoires, qui les rattache à certains chefs Épaulards dont le village sous-marin se trouvait près du leur, et dont la rencontre avec leurs ancêtres mythiques fut profitable à ces derniers. La haute nageoire dorsale des emblèmes de l'Épaulard qui appartiennent aux gens du Corbeau est toujours noire, tandis que celle des gens de l'Aigle est striée d'une rayure blanche diagonale.
Tous les mammifères terrestres utilisés comme emblèmes, sauf le Castor, appartiennent à la moitié du Corbeau. Certains de ces emblèmes, par exemple la Chèvre des Rocheuses, le Loup et le Grizzli, représentent des animaux qui n'existent pas dans Haida Gwaii; leur usage a été transmis par des chefs tsimshians du continent. Tous les emblèmes d'animaux amphibies tels que le Castor et la Grenouille sont la prérogative exclusive de la moitié de l'Aigle, et proviennent également des Tsimshians. Les mammifères marins appartiennent pour la plupart aux gens du Corbeau, mais de nombreux lignages de l'Aigle utilisent le Tautogue noir comme emblème. Les poissons sont surtout l'apanage de la moitié de l'Aigle, qui utilise le Chabot, la Raie, le Chien de mer, l'Étoile de mer et le Flétan comme emblèmes. La moitié du Corbeau partage avec celle de l'Aigle le Chien de mer et la Raie.
La moitié du Corbeau n'utilise pas le Corbeau comme emblème, mais la moitié de l'Aigle se sert fréquemment de l'oiseau qui lui a donné son nom, ainsi que de beaucoup d'autres oiseaux dont le Corbeau, le Cormoran, le Héron, l'Épervier et le Colibri. Les seuls oiseaux utilisés comme emblèmes par la moitié du Corbeau sont le Pic, l'Épervier et le Grand-duc.
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