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Kung
La Maison-qui-peut-abriter-une-grande-foule (à gauche) et Maison-en-acier (à droite).
Photo : George M. Dawson, 1878.
Archives nationales du Canada 264
Kung (ou Village-du-rêve) était en 1840 une localité prospère de quinze maisons et 280 habitants, si l'on en croit John Work. Dans la partie est du village, les vestiges d'une rangée de maisons qui paraissent dater d'il y a plusieurs centaines d'années donnent à penser que la population était encore plus importante jadis. En 1840, le chef du village était Gulas, des Gens-du-village-de-la-tête-de-l'inlet, de la moitié de l'Aigle. Une famille étroitement apparentée de cette même moitié partageait la moitié est du village avec eux, tandis que les gens de l'Aigle de Stastas et un unique ménage des gens du Corbeau de Rose Spit vivaient dans la moitié ouest.
En 1850, Albert Edward Edenshaw, se rendant compte que Kiusta avait perdu son importance économique et stratégique, y abandonna sa Maison-de-l'histoire. Il s'installa à Kung, où il construisit une habitation complexe nommée Maison-qui-peut-abriter-une-grande-foule. Son architecture a de nombreux caractères du style haïda- kaïgani, par exemple les hauts poteaux d'angle carrés, qui témoignent des liens solides du chef Edenshaw avec des villages haïdas d'Alaska. Il a également érigé un mât à Kung au début des années 1860 en l'honneur du gouverneur James Douglas, qu'il tenait pour juste à l'égard des Autochtones. Le mât montre Douglas portant redingote et haut-de-forme. À peu près à la même époque, des villages d'Alaska élevaient des mâts en l'honneur d'Abraham Lincoln, qui avait affranchi les esclaves.
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Le mât d'intérieur de la maison d'Albert Edward Edenshaw, à Kung. La figure au sommet est Skungo, un homme qui habitait une grotte près de Kiusta et qui a été transformé en monstre parce qu'il se nourrissait de poissons et d'oiseaux crus. L'Ours et la Grenouille, au centre, sont des emblèmes qui reviennent souvent dans les œuvres d'Edenshaw, tandis que la grande figure à la base ressemble à un ours, mais rappelle une créature représentée sur un mât d'intérieur de maison de Skidegate sculpté par son neveu Charles Edenshaw, laquelle a conservé son bec et est manifestement un Oiseau-Tonnerre.
Photo : Charles F. Newcombe, 1913. |
Vers 1875, Albert Edward Edenshaw déménagea de nouveau, se fixant cette fois à Yatze (ou Village-du-couteau), à l'extrémité du havre Naden, dans l'espoir de voir s'accroître le commerce avec l'Alaska. George M. Dawson a écrit ce qui suit sur son séjour à Kung en 1878.
Le village situé juste à l'intérieur de l'étroite entrée de la baie Virago, d'où partent ces gens, s'appelle Kung; ce fut un village de quelque importance, avec de bonnes constructions, mais il est maintenant plutôt délabré, bien que certaines maisons soient encore habitées. Les maisons disposées le long d'une rive basse, face à une belle plage de sable, sont au nombre de huit à dix, et certaines sont assez grandes. Les poteaux sculptés ne sont pas nombreux, mais quelques-uns sont richement décorés.
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Ce mât a été érigé par Albert Edward Edenshaw en 1878 dans le village de Yatze. La figure du bas a peut-être été sculptée par Charles Edenshaw ou John Robson. Le Corbeau qui coiffe le mât est assis sur Kaga, un être mythique qui était son oncle et avec lequel il se disputa. Le Corbeau avait atterri sur Kaga avec une force telle qu'il l'avait fendu en deux. En dessous, on peut voir un Loup-de-la-mer suivi d'un Castor aux incisives proéminentes. La petite figure qui se trouve en dessous, sur le devant du mât, est un Épervier des montagnes, et à la base on voit une Chèvre des Rocheuses semblable à celle qui se trouve sur le poteau funéraire du chef Skedans, à Skidegate.
Photo : Marius Barbeau, 1947. |
À l'époque où Newton Chittenden, un arpenteur de la province de Colombie-Britannique, a séjourné à Kung, soit en 1884, le village n'était plus habité de façon permanente. Yatze avait été abandonné un an auparavant lorsque Albert Edward Edenshaw était allé s'installer à Masset, mais le site a continué d'être utilisé comme campement de pêche au flétan au moins jusqu'à la Première Guerre mondiale, et de petites maisons temporaires ont été construites près de la plage.
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Albert Edward Edenshaw et Wiah, le chef du village de Masset, sur la plage du village de Yatze.
Photo : George M. Dawson, 1878.
Archives nationales du Canada 38147 |
Très peu d'objets ont été recueillis à Kung, cette localité se trouvant à l'écart des sentiers battus. La plupart des objets de valeur avaient été emportés par leurs propriétaires lorsqu'ils étaient allés se fixer à Masset. George A. Dorsey, un anthropologue, a dérobé le contenu de bien des sépultures haïdas de Kung, et ces objets se trouvent maintenant au Field Museum de Chicago. Dorsey décrit une sépulture inusitée :
La sépulture du vieux chef de Kung était la plus belle que j'aie vue. Quatre petits poteaux solides avaient été fermement plantés dans le sol, et sur les angles intérieurs de chacun de ceux-ci des rainures permettaient d'accueillir les poutres soutenant la petite maison dans laquelle le corps du chef était étendu. La construction était presque enfouie sous une épaisse végétation, et il a fallu beaucoup travailler avec la hache avant que les poteaux magnifiquement sculptés puissent s'offrir à l'objectif de l'appareil-photo.
Dorsey a exploré de nombreuses autres sépultures de Kung, dont celles de chamans :
Plusieurs sépultures très anciennes qui faisaient face à la plage, du côté est du village, se sont avérées particulièrement intéressantes. C'étaient des sépultures d'hommes-médecine ou chamans, et elles étaient tout à fait différentes des tombes ordinaires, c'est-à-dire soit un mât unique dans lequel le corps est placé à travers un trou au sommet ou sur le côté, soit une sépulture consistant en une plate-forme soutenue par deux poteaux, comme nous l'avons vu à Kung. Nous avons trouvé une petite maison en courts rondins de cèdre. Le chaman y avait été placé dans une longue boîte-cercueil, étendu de tout son long avec ses hochets et d'autres articles cérémoniels tout autour de lui. Dans un cas, il y avait plusieurs très beaux masques, mais ils étaient presque entièrement réduits en poussière.
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