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Skidegate
Vers les années 1820, les réserves de fourrure de loutre de mer commençaient à diminuer dans une grande partie de la côte septentrionale, sauf à Skidegate. Les comptes rendus des marchands voyageant à bord de navires avaient commencé à attirer l'attention des églises missionnaires de Nouvelle-Angleterre, qui avaient obtenu de rapides succès à Hawaii et étaient au courant des progrès des missions russes en Alaska. En 1829, le révérend Jonathan Green, qui avait participé aux missions à Hawaii, fut envoyé sur la côte nord-ouest. Il donne cette description dans son journal :
Juste avant de jeter l'ancre, nous sommes passés devant le village de Skidegate. J'ai trouvé l'endroit magnifique. Plus que tout autre lieu que j'avais vu, celui-ci évoquait à mes yeux un pays civilisé. Les maisons -- il y en avait trente ou quarante -- paraissaient en raisonnablement bon état, et devant la porte de beaucoup d'entre elles s'élevait un grand mât où étaient sculptés des formes humaines, ou des chiens, des loups, etc., peints avec soin. Les terres autour du village semblaient bien cultivées. Les Indiens ne s'adonnaient guère à la culture, si l'on fait exception des pommes de terre, car ils ne possèdent pas beaucoup de graines différentes; pourtant, à en juger d'après l'aspect de la terre, je crois qu'ils pourraient faire pousser une variété beaucoup plus grande de légumes.
Le révérend Green tenta de prêcher les chefs de Skidegate à bord du navire, mais voici ce qu'il dit : «Quand j'ai eu fini, ils ont insisté pour que je leur offre un petit verre de rhum! [...] Les navires des marchands du Nord-Ouest ne sont pas l'endroit idéal pour prêcher la tempérance aux Indiens, ou même pour enseigner quoi que ce soit de la religion chrétienne.» Il abandonna tout projet de mission à Skidegate.
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Le chef Nanjingwas en uniforme de la marine (à gauche) et un autre homme, probablement le chef Skidegate VII, posant devant l'emblème du Corbeau du chef Nanjingwas à la Maison-du-chef, à Skidegate.
Photo : Edward Dossetter, 1881. |
Au cours des années 1830, des pêcheurs de baleine commencèrent à arriver. En 1832, un capitaine de baleinier, un certain C. Jefferson, épousa une des filles du chef Skidegate le Grand et construisit une résidence appelée Maison-de-l'Épervier-Moustique. Comme il ne possédait pas d'emblème familial, Jefferson reçut la permission d'utiliser un des emblèmes de sa femme, le Corbeau à bec cassé (allusion au mythe du Corbeau et du pêcheur de flétan), à la base du mât de façade de sa maison. Il remplit l'espace au-dessus du Corbeau avec trois piles de sept cuivres qui témoignaient de sa richesse.
La traite des fourrures après 1834 se fit surtout à partir du nouveau fort de la Compagnie de la Baie d'Hudson, Fort Simpson, sur le continent en territoire tsimshian. Les Haïdas de Skidegate se rendaient régulièrement au fort pour échanger leurs pommes de terre et leur tabac avec les Tsimshians, qui leur servaient d'intermédiaires.
La découverte d'or en 1849 dans les îles de la Reine-Charlotte provoqua le premier grand afflux de blancs dans la région, mais en 1854 la ruée vers l'or avait déjà pris fin. Quelques-uns des navires qui venaient dans la région à la recherche d'or avaient fait naufrage, et James Deans affirme que les chefs de Skidegate ont beaucoup profité tant de la brève ruée vers l'or que du rançonnement des marins naufragés. Cette manne permit l'érection de mâts nouveaux et la construction de maisons, mais Skidegate se mérita une réputation si mauvaise que les navires cessèrent pendant un certain temps d'y faire escale.
L'absence de contacts commerciaux ennuyait les Haïdas, et en 1853 cinq cents d'entre eux se dirigèrent vers le sud en pirogue et gagnèrent les avant-postes coloniaux de Victoria et Nanaimo. Leur arrivée à Victoria effraya la petite localité, et le gouverneur James Douglas les renvoya chez eux. Cependant, quelques semaines plus tard, une flottille plus petite -- cinq pirogues -- retourna tranquillement à Victoria. Cela marqua le début d'une migration annuelle qui dura une vingtaine d'années, laissant Skidegate presque vide une bonne partie de chaque année. Les familles rapportaient deux choses avec elles : de la richesse, qui leur permettait de construire des maisons plus grandes et d'ériger d'autres mâts, et diverses maladies qui dévastèrent la population. Seule l'arrivée de survivants des villages haïdas du sud qui avaient été encore plus durement touchés par la maladie permit à Skidegate de survivre. Les nouveaux villageois apportaient avec eux de nombreux trésors familiaux, qu'ils vendaient pour la plupart à des voyageurs et à des collectionneurs.
Les pires épidémies frappèrent Skidegate à la fin des années 1860, et beaucoup des maisons abandonnées dans la dernière rangée du village ne furent jamais reconstruites, même si, sur des photos prises par George M. Dawson en 1878, on peut voir les mâts de façade de ces habitations et leurs massives charpentes.
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