e brusque déclin des Chevaliers constitue un autre
trait remarquable de leur histoire. L'organisation disparut
presque aussi rapidement qu'elle avait pris forme dix ans
auparavant. De nombreux facteurs contribuèrent à
une telle tournure des événements. Les
employeurs profitèrent de la montée du
chômage et, souvent avec l'aide du gouvernement,
réprimèrent durement toute tentative de
campagne de recrutement ou de déclenchement d'une
grève. Les Chevaliers devinrent la cible rêvée
des attaques des journalistes opposés au syndicalisme.
Au Québec, ils durent composer avec l'hostilité
de l'Église catholique qui les percevait comme des
athées et des révolutionnaires.
L'Ordre des Chevaliers fut lui-même en partie responsable
de la rapidité fulgurante de son déclin. Des
conflits internes sur le choix entre le scrutin, la grève
ou l'arbitrage comme meilleur moyen d'obtenir des concessions
de la part des employeurs de l'industrie et du gouvernement
paralysèrent le syndicat. Ce débat fut une
source d'affrontements entre les membres des assemblées
locales, qui militaient en faveur de la grève, et le
leadership national et international, plus conservateur.
D'autres divisions commencèrent par ailleurs à
se manifester au sein du mouvement ouvrier. Au départ,
les relations entre les Chevaliers et les syndicats de métier
étaient bonnes. La plupart de ces derniers avaient accueilli
l'ascension des Chevaliers comme un signe de plus du renforcement
du mouvement ouvrier. Ils aidèrent les Chevaliers à
se mobiliser et travaillèrent à leurs
côtés en vue de maintenir en vigueur les conseils
ouvriers, les partis ouvriers indépendants et les
coopératives. Cependant, le succès mobilisateur
des Chevaliers finit par dresser ceux-ci contre les syndicats
de métier. Le conflit était essentiellement
causé par une bataille de juridiction, à savoir
qui représenterait tel ou tel groupe de travailleurs.
Finalement, la relation entre les Chevaliers et les syndicats
de métier se détériora en un brouillamini
qui affaiblit l'ensemble du mouvement ouvrier.
Les conflits au sein de l'Ordre des Chevaliers du travail, et
entre celui-ci et les autres syndicats ouvriers, incitèrent
un grand nombre de sympathisants à quitter l'organisation.
Une organisation divisée n'était pas propre à
affronter la puissance - toujours grandissante - des grosses
industries de l'époque. Si les travailleurs avaient tout
d'abord adhéré à l'Ordre des Chevaliers
du Travail, c'était dans l'idée de contrecarrer
l'influence du milieu industriel. Lorsque le syndicat perdit le
sens de sa mission, les travailleurs, probablement à
juste titre, s'en désolidarisèrent.
Les Chevaliers méritent une place de choix dans
l'histoire du mouvement ouvrier au Canada. L'organisation a
permis à des milliers de travailleurs de faire la
découverte du syndicalisme et l'apprentissage de la
notion de coopérative. Dans certains cas, le syndicat a
obtenu de meilleurs salaires et de meilleures conditions de
travail pour ses membres. En outre, il a contribué de
façon importante à l'évolution d'une politique
syndicale indépendante au Canada. Ses avertissements
concernant les dangers du « capitalisme sauvage »
arrivaient à point nommé.
|