Comme nous l'avons découvert
tout au long de ce récit, le voyage de pêche du
Saint-André, en 1754, fut un périple
routinier se déroulant au gré des marées, des
vents, du temps, des avaries et même des contraintes
administratives de l'amirauté. Arrivés sur le Banc,
les hommes vivaient à la cadence des prises, mettant tous
la main à la morue les jours les plus favorables à la
pêche. Jean Marin Le Roy faisait manuvrer le navire en
quête des bancs de poissons et notait les renseignements les
plus importants du voyage. Discret, le capitaine Bellet
réglait ses affaires, effectuait les achats, dirigeait la
pêche et entretenait quelques rapports avec les maîtres
des navires banqués dans les parages.
L'année suivante, le Grand Banc de Terre-Neuve redevient un
lieu de rivalité entre Anglais et Français. " La
guerre de Sept Ans porta un coup très violent à l'armement
honfleurais. " 125
En 1755, " la rafle des navires pêchant sur le Grand
Banc par les Anglais toucha terriblement la ville : 28 navires
furent ainsi capturés... avec 541 hommes emmenés
prisonniers en
Angleterre " 126.
Le port qui avait vu partir Champlain pour le Canada ne s'en releva
jamais.
En 1762, les Français s'accrochaient
désespérément aux côtes de Terre-Neuve. Par
le Traité de Paris (1763) les îles méridionales,
Saint-Pierre et Miquelon, furent cédées à la
France (après avoir appartenu à la Grande-Bretagne
pendant cinquante ans) en remplacement de l'île du Cap-Breton,
comme abri pour les pêcheurs français. La Grande-Bretagne
reçut le Labrador en échange.
Une fois les hostilités arrêtées, " Honfleur
n'expédia que 30 navires au Banc. En 1767 le chiffre tomba
à 14 pour le Grand Banc et 2 pour St-Pierre et Miquelon. Il
fallut attendre l'année 1776 pour remonter au chiffre de
27. " 127
Deux siècles plus tard, le 1er janvier 1977, au
crépuscule du millénaire qui a connu la naissance,
et le déclin, des pêches terre-neuviennes, en
même temps que la raréfaction des richesses halieutiques
de l'Atlantique, le Canada étendait à 200 milles sa
compétence territoriale en matière de pêche.
Le Service des pêches et de la mer, en collaboration avec
plusieurs ministères, entreprenait l'élaboration
de plans détaillés pour la mise en application de
cette extension. Le Canada s'affirmait " "propriétaire
et gestionnaire" de toutes les pêcheries situées en
deçà de 200 milles de ses côtes parce que,
disait-on...il était nécessaire de prendre des
mesures pour sauver les pêches côtières et
hauturières qui ont grandement souffert au cours des
dernières années par manque de
gestion. " 128
Conscientes des répercussions graves sur le bien-être
des communautés côtières et des pêcheurs,
ainsi que sur l'industrie de la pêche au Canada, les
autorités canadiennes concluaient que " ...la seule
façon dont un état côtier puisse assurer la
bonne gestion des pêches et la conservation efficace des
espèces, c'est d'en assumer la
responsabilité. " 129
Quatre ans plus tard, en 1981, les autorités canadiennes
reconnaissaient qu'en dépit des effets positifs des
nouveaux programmes de gestion et de contrôle, " ...la
zone de 200 milles n'est pas un réservoir illimité
ni une panacée à tous les maux économiques.
Il faudra des programmes et des politiques sensées pour
la gestion des ressources, l'exploitation et la commercialisation
des produits, tempérés par un certain nombre de
restrictions, pour assurer la stabilité à long terme
des ressources fragiles de la
mer... " 130
Encore aujourd'hui, le cabillaud de l'Atlantique est toujours rare
aux environs de Terre-Neuve. Les morues que les compagnons de
Cabot pêchaient en abondance à l'aide d'un panier
seraient-elles disparues à jamais?
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