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Masset
Quelques jours après son arrivée à Masset, Collison rédigea un compte rendu d'un événement important auquel il avait assisté, une cérémonie de paix :
Le lendemain, Edenshaw, un chef influent, arriva de la baie Virago [...] Lui et ses hommes furent reçus avec tous les honneurs, et eurent droit à une danse de la paix. Il y avait eu un conflit entre les deux tribus, et Edenshaw avait été invité avec les principaux de ses hommes dans le but de faire la paix. Quand leurs grandes pirogues s'approchèrent du rivage, leurs occupants célébrèrent dans un chant les courageux exploits du passé, et la foule réunie sur le rivage leur répondit de la même manière. Le chant était accompagné de mouvements réguliers et gracieux de la tête et du corps et de signes de la main. Un gros tambour ressemblant à un coffre et fait de bois de cèdre rouge, peint de figures grotesques et recouvert de peau, marquait la mesure. Un homme assis à la proue de la pirogue de tête battait de ce tambour. Des esclaves nus au corps noirci, portant chacun un grand bouclier de cuivre, se lancèrent alors à l'eau et y jetèrent les boucliers, devant les pirogues des visiteurs. Comme ces boucliers sont faits de cuivre natif, et que leurs emblèmes y sont inscrits, ils sont d'une grande valeur pour les Indiens. C'était donc là une des plus grandes marques d'accueil et d'honneur possibles. Mais leurs propriétaires ne les avaient pas pour autant perdus puisque, à marée basse, ils purent les récupérer.
Ayant débarqué, les visiteurs furent précédés d'un certain nombre de danseurs et de danseuses vêtus de façon particulière, le visage peint, qui les conduisirent à la maison préparée pour les recevoir. Le siège central fut donné à Edenshaw, et ses hommes s'assirent autour de lui. Un messager entra alors pour annoncer l'arrivée de son chef et de son groupe, venus accueillir les invités. Ils entrèrent aussitôt, le chef d'abord, suivi des sous-chefs, puis des hommes principaux vêtus pour la danse. L'emblème de la tribu, incrusté de nacre, ornait le devant de la coiffe, ou shikid. Il était surmonté d'un petit cercle, ou couronne, fait de poils d'otarie rapprochés formant un réceptacle, qui était rempli de duvet de cygne ou d'aigle très fin et spécialement préparé. Tandis que le cortège dansait devant les visiteurs en chantant le chant de la paix, le chef s'inclinait devant chacun de ses invités. Et à chaque fois, une pluie de duvet de cygne se répandait sur l'invité, et c'est ainsi que la paix se faisait et se concluait.
L'opposition la plus forte au missionnaire venait des chamans, qui se rendaient compte de la menace qu'il constituait pour leurs pratiques traditionnelles. Le plus en vue d'entre eux était le docteur Kudé, qui était à la fois chef et chaman et qui était propriétaire d'une maison des plus impressionnantes dans la rangée arrière de Masset. Le docteur Kudé semble avoir poursuivi sa lutte pour le pouvoir avec le successeur de Collison pour la Church Missionary Society, car, au dire du révérend Charles Harrison, qui arriva en 1882, «il tenta de persuader les gens que la médecine des Européens était inévitablement fatale pour l'Indien à moins que ses effets n'aient été annulés par un traitement que lui pouvait donner». La description de Kudé faite par Harrison s'accorde avec les photos du chaman :
Kudé, the Masset Shaman, had long tangled hair -- it well nigh reached his knees--but when not viably engaged he kept it tied up on top of his head and secured by beautifully carved bone pins. This long hair was believed to assist in his magical power over the evil spirits.
Kudé, le chaman de Masset, avait une longue chevelure enchevêtrée -- elle lui arrivait presque aux genoux --, mais lorsqu'il n'était pas à l'oeuvre, il la ramassait sur le dessus de sa tête et la retenait avec des épingles d'os superbement sculptées. On croyait que cette longue chevelure augmentait ses pouvoirs magiques contre les esprit mauvais.
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Le docteur Kudé (le deuxième à partir de la gauche) et d'autres chamans de Masset posent pour un photographe. Kudé porte une couverture chilkat de chef, titre qu'il avait le droit de revendiquer, plutôt que le tablier de danse des chamans. La figure à sa droite, portant le masque à la bouche tordue représente la femme d'un des autres personnages masqués, qui était censé être mort; le docteur Kudé venait de le ramener à la vie. L'homme à droite porte des tatouages d'Ours sur la poitrine et le haut des bras, et de Baleine sur les avant-bras. C'est là la seule photo connue de chamans haïdas portant des masques.
Photo : Edward Dossetter, 1881. |
Albert Edward Edenshaw se fixa définitivement à Masset après le décès du vieux chef Wiah à l'automne 1883. Le nouveau chef, Henry Wiah, n'était ni aussi riche ni aussi puissant que son prédécesseur, mais il était très aimé des villageois et accueillit Edenshaw dans son village. Un des changements les plus importants survenus à Masset fut l'établissement des survivants de tous les autres villages de la côte nord après 1883, lorsque le chef Henry Wiah demanda qu'on oublie les vieux différends. Les gens souhaitaient aussi de plus en plus vivre dans une localité où il y avait des écoles et une mission, ainsi que certains services de santé (dont la vaccination contre la variole), dont se chargeaient les missionnaires en plus de leur travail d'évangélisation.
En 1883, Albert Edward Edenshaw hérita d'un cousin une maison à Masset et, d'après Charles F. Newcombe, il y vécut jusqu'à sa mort. Un mât commémoratif qui semble avoir été érigé peu après son installation dans cette maison porte ses emblèmes du Corbeau et du Castor. Le poteau intérieur central porte aussi ses emblèmes, le Corbeau, avec des grenouilles dans les oreilles, juché sur un Ours, mais il est possible qu'il ait été installé par son cousin quand la maison fut construite. Il se trouve maintenant au Field Museum de Chicago.
Albert Edward Edenshaw figure dans presque tous les récits de voyageurs jusqu'à sa mort en 1894. Il avait été soupçonné de complicité dans la capture du Susan Sturgis par le vieux chef Wiah en 1852, mais le capitaine reconnut qu'il devait sa vie et celle des membres de son équipage à l'action décisive d'Edenshaw, qui négocia avec succès leur libération en échange d'une rançon de la Compagnie de la Baie d'Hudson à Fort Simpson. Un monument commémoratif en marbre fut érigé devant la Maison-de-la-propriété de Henry Edenshaw, au centre de Masset. Albert Edward possédait également une maison dans le village de Klinkwan, en Alaska, et sa maison de Masset était précédée d'un beau mât de façade et d'un mât commémoratif surmonté d'une énorme figure d'Ours, semblable à celle de Kiusta. Son neveu Charles Edenshaw, le célèbre sculpteur, habita plus tard cette maison, et c'est peut-être lui qui plaça au-dessus de la porte une planche portant le nom d'«Edenshaw» pour faire la publicité de ses œuvres à vendre à l'intention des voyageurs. À la fin des années 1890, l'habitation fut remplacée par la modeste maison à charpente de bois où Charles Edenshaw vécut jusqu'à sa mort en 1924.
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Le centre du village de Masset, avec la maison dont Charles Edenshaw a hérité et qu'il a plus tard remplacée par une maison de style européen. Il avait déjà commencé à faire la publicité de son travail d'artiste lorsque cette photo a été prise.
Photo : Stephen Allen Spencer, circa 1880. |
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