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Les pirogues haïdas étaient de superbes embarcations creusées dans des pièces de ces gigantesques cèdres rouges qui poussent dans Haida Gwaii. Les chefs d'autres nations, tout au long de la côte, les prisaient hautement. Les lignes magnifiques, susceptibles de plaire au navigateur le plus exigeant, le superbe travail et la qualité supérieure du cèdre de Haida Gwaii faisaient littéralement des pirogues haïdas les Cadillac de la côte.
Les constructeurs de pirogues de chaque village travaillaient à leurs nouvelles embarcations tout au long de l'automne là où s'élevaient les plus beaux cèdres rouges. Après une bonne chute de neige facilitant l'usage des traîneaux, on transportait les pirogues dégrossies du bois à la plage la plus proche, d'où on les remorquait jusqu'au village pour y achever le travail pendant l'hiver. Au printemps, des flottilles de nouvelles pirogues manoeuvrées par des équipages peu nombreux quittaient l'inlet Skidegate, Masset et la pointe Rose, sur la côte nord, bravant les tempêtes saisonnières pour gagner le continent. Si ces embarcations pouvaient franchir sans encombre les eaux dangereuses du détroit d'Hecate, elles résisteraient à tous les temps de la côte. À la rivière Nass, on échangeait les pirogues avec les tribus côtières réunies pour la pêche printanière à l'eulakane. Les Haïdas rentraient chez eux avec de vieilles pirogues obtenues par échange.
Lorsque les premiers Européens arrivèrent, ils firent des dessins représentant les Haïdas dans leurs grandes pirogues de guerre à la proue élevée ornée de l'emblème de leur propriétaire. Il existe de nombreux modèles de pirogues appelées «pirogues à tête», mais aucune embarcation grandeur nature n'a été conservée.
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Modèle d'un type ancien de pirogue de guerre, souvent appelée «pirogue à tête», dont le large devant était conçu pour porter les emblèmes du chef qui en était le propriétaire. Ce type de pirogue n'était plus utilisé au milieu du XIXe siècle, mais des modèles furent réalisés après cette date.
Recueilli dans Haida Gwaii (probablement à Masset) avant 1892 par Edward Harris, un marchand de fourrures de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
MCC VII-X-280 (S94-6773) |
À la fin du XVIIIe siècle, les Haïdas avaient appris de marins et de capitaines de passage à gréer leurs embarcations, et par la suite la plupart des grandes pirogues furent équipées de deux ou trois mâts et de voiles de toile ou d'écorce de cèdre. Ces embarcations plus rapides et plus manœuvrables pouvaient transporter 20 000 kg de marchandises.
L'apparition de cette nouvelle embarcation est probablement à l'origine de la disparition de la pirogue «à tête». Celle-ci avait une proue massive et proéminente, ce qui était idéal pour porter les emblèmes du chef de guerre, mais nuisait à la manœuvrabilité si on y mettait des voiles. On a continué de réaliser des modèles de pirogues à tête jusqu'à ce que celles-ci commencent à s'effacer de la mémoire des sculpteurs.
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Ours emblématique provenant de la poupe d'une pirogue de guerre haïda. Ce type de figure était ajouté à l'occasion de cérémonies et enlevé lorsque la pirogue devait être dégarnie en prévision de la bataille.
Recueilli dans Haida Gwaii en 1879 par Israel W. Powell.
MCC VII-B-1054 (S92-4297) |
Les pirogues de guerre avaient la même proue pointue saillante que les pirogues de transport, mais, en plus des motifs bidimensionnels peints sur la coque, ils portaient souvent des emblèmes sculptées à l'avant ou à l'arrière. Alfred Davidson et d'autres maîtres constructeurs de pirogues (dont Robert Davidson Sr., le grand-père de Robert Davidson) ont réalisé un remarquable spécimen de ce type d'embarcation de guerre pour une exposition internationale tenue aux États-Unis. Les peintures qui l'ornent ont été conçues et exécutées par Charles Edenshaw. Lorsque le prix final s'est avéré trop élevé pour le budget de l'exposition, l'embarcation a été achetée pour le Musée canadien des civilisations. D'une longueur de 17 m, celle-ci est la plus grande pirogue de guerre haïda ayant survécu (la pirogue de guerre heiltsuk de l'American Museum of Natural History, à New York, est cependant beaucoup plus longue).
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La seule pirogue de guerre haïda ayant survécu. Elle mesure 17 m de longueur, et sa largeur maximale est de près de 2 m. Elle a été commandée à Alfred Davidson et d'autres sculpteurs de Masset, dont Robert Davidson Sr., pour une exposition internationale américaine en 1904. Les pagaies originales ont disparu en route pour Ottawa, mais Charles Edenshaw en a réalisé de nouvelles.
Recueillie à Masset en 1908 par le révérend William Hogan et R.W. Brock.
MCC VII-B-1128 (S92-4299) |
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Alfred Davidson, de Masset, en train de sculpter la pirogue commandée pour l'exposition internationale de 1904. Charles Edenshaw y a peint des Loups-de-la-mer. La pirogue est maintenant exposée au Musée canadien des civilisations.
Photo : Edward Sapir, 1914.
MCC 26665 |
En 1985, Bill Reid a reçu commande d'une pirogue de 15 m pour Expo 86, l'exposition internationale de Vancouver. L'artiste a donné à cette magnifique embarcation le nom de Lootaas (ou Dévoreur de vagues). Après l'exposition, on en a réalisé plusieurs répliques en fibre de verre, dont les deux premières pour le Musée canadien des civilisations. La pirogue originale a été transportée en France, où des pagayeurs lui ont fait remonter la Seine jusqu'à Paris dans le cadre des célébrations du bicentenaire de la Révolution française. Plus tard, elle a entrepris un voyage dont on a beaucoup parlé de Vancouver à Haida Gwaii. Elle est depuis lors conservée à Skidegate, où on l'utilise lors de cérémonies.
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