Mer et monde : Les pêches de la côte est du Canada

En quête du délice des jours maigres
Le voyage de pêche du Saint-André (1754)
En quête du délice des jours maigres : 
Le voyage de pêche du Saint-André (1754)

Par Jean-Pierre Chrestien à la TABLE DES MATIÈRES


La pêche sur le Grand Banc
 

Estimant sa position à environ 15 lieues et demie à l'intérieur du Banc, sur lequel il calcule être entré par le 45º30´ de latitude Nord, Jean Marin Le Roy se met à la recherche d'un poste de pêche favorable. Il sonde pour déterminer à quelle profondeur se trouve la surface du Banc, cherchant le plateau qui gît entre 25 et 50 brasses de profondeur. La quête du Banc est encore très empirique au milieu du XVIIIe siècle : " Le Banc a bien 150 lieues de longueur nord-est et suroît depuis 41° jusqu'à 52° et à travers noroît et sust (sud-est) environ 60 lieues dont ils [les pilotes] ne connaissent la longitude que par l'estime qu'ils en font par rapport au sillage de leur navire comptant qu'il peut y avoir 6 à 700 lieues en droite ligne de la coste de France sur le Banc suivant la position où les cartes du navire les mettent " 79.


Les navires de pêche sur le banc - 
Musée canadien des civilisations

Figure 7 : Les navires de pêche sur le banc (détail) : à gauche au premier plan, un gros navire normand
H.-L. Duhamel du Monceau, Traité général des pesches, 1772, vol. 2, 1ère section, seconde partie, planche VI, fig. 1, Musée canadien des civilisations.


Les navires qui arrivent tôt sur le Banc, entre janvier et mars, pêchent entre le 43°30´ et le 45° parallèle. Ceux qui y naviguent de mai à août dérivent entre le 45° et le 47°30´.

Lorsque le navire est arrivé sur le Banc, ou banqué, comme disent les pêcheurs, que les vents et la mer se prêtent à la pêche, la tâche du pilote est simplifiée. La manœuvre devient routinière. Le navire à la cape 80 dérive lentement, tentant de suivre les déplacements des bancs de morues.

Comme le recommande le Nouveau traité de navigation publié en 1753 81, Jean Marin Le Roy tient son journal sous la forme d'un tableau de service qui regroupe des coordonnées et des renseignements disposés d'une manière claire et ordonnée, parfois figurée, pour en faciliter la consultation. Ses tableaux vont même au-delà des recommandations de l'hydrographe du roi, Pierre Bouguer, qui exige douze colonnes. Ils sont généralement composés de quatorze colonnes qui témoignent des actions essentielles à la bonne marche du navire et de la pêche. Ils permettent au pilote de calculer la position du navire et ses déplacements. Ces aide-mémoire présentent : le jour de la semaine; la date; le nombre d'heures pendant lesquelles la voile a été à tribord ou à bâbord, larguée 82 ou carguée 83. On y lit la latitude observée à midi, la latitude estimée le soir à 8 heures, la distance en lieues parcourue au cours des 24 heures (calculée à 8 heures aussi), la nature et la profondeur du fond de la mer, le temps, l'orientation (les rumbs), la qualité et la force des vents, et le nombre de morues prises au cours de la journée. La dernière colonne des tableaux renferme des notes sur les navires rencontrés. À leur sujet, Le Roy notera le nom du capitaine à qui il a parlé, son port d'origine, le nombre de morues pêchées et la date de son arrivée sur le Banc. Il est étonnant de découvrir le nombre de navires qui se rencontrent sur ce vaste plateau triangulaire 84 et les rapports que les capitaines normands entretiennent entre eux. Le Roy mentionne 42 capitaines à qui on a parlé (tableau 1). Souvent leurs officiers s'échangent quelques mots, des informations, des services 85 et même parfois des invitations à dîner!


Tableau 1 : Liste des capitaines et navires rencontrés par Jean Marin Le Roy et Gabriel Bellet sur le Banc, et le nombre de leurs prises

 

Capitaine

Type de navire

Port d'origine

Rencontré le

Banqué le

Nombre de prises

1

BELLIOST

 

Olonne

16/04/1754

11/04/1754

500

2

BERMONT

 

Honfleur

12/05/1754

30/03/1754

4 000

3

BÉRENGER

 

Honfleur

27/06/1754

20/03/1754

6 000

4

BUNEL

 

Honfleur

15/05/1754

27/03/1754

1 800

5

CHAILLIOT

navire

La Rochelle

29/04/1754

16/03/1754

3 000

6

CLERMONT

 

Honfleur

01/07/1754

22/03/1754

7 000

7

DAQUENET

 

Granville

29/05/1754

01/04/1754

6 000

8

DELAHAYE

 

Honfleur

 

 

5 000

9

DÉLIÉ le jeune

 

 

03/06/1754

 

4 000

10

DÉLIÉ le Tranquille

 

 

04/07/1754

23/04/1754

5 600

11

DONZOIS

 

Honfleur

05/06/1754

18/04/1754

3 000

12

GALLOIS

 

 

10/05/1754

27/03/1754

2 000

13

GROUX, Charles

 

 

28/06/1754

30/03/1754

10 000

14

GROUX, Pierre

 

 

02/07/1754

02/04/1754

6 000

15

HAUTEVILLE

 

 

29/06/1754

27/03/1754

8 000

16

JUGÉ ou JUZÉ

 

 

23/05/1754

30/03/1754

4 000

17

LAUMOSNE

 

Honfleur

30/04/1754

10/04/1754

1 000

18

LE HUBY

 

St-Malo

29/04/1754

01/04/1754

1 000

19

LE PRÉVOST

 

Honfleur

02/06/1754

27/03/1754

6 500

20

LE ROUX

 

Honfleur

25/05/1754

30/04/1754

1 000

21

LECOMPTE

 

St-Malo

03/06/1754

08/04/1754

3 000

22

LEFEBVRE le jeune

 

St-Malo

01/05/1754

18/03/1754

4 000

23

LE GRIX, Léonard

 

Honfleur

17/06/1754

13/06/1754

100

24

LEMOINE

 

St-Malo

26/06/1754

20/03/1754

6 000

25

MONCHATTON

 

Havre-de-Grâce

06/07/1754

04/04/1754

8 000

26

MORIN

 

 

22/06/1754

30/03/1754

7 000

27

MOÛLARD

 

Granville

02/05/1754

01/03/1754

3 000

28

NÉEL

 

Granville

25/06/1754

13/06/1754

1 000

29

NICOL

 

Dieppe

10/05/1754

2/04/1754

5 000

30

NORMAND

 

 

03/07/1754

23/04/1754

6 800

31

ROUSSEL

 

Honfleur

14/05/1754

30/03/1754

3 400

32

TANQUEREL

goélette

Granville

19/06/1754

31/03/1754

9 000

33

TANQUEREL

 

Granville

21/06/1754

31/03/1754

8 000

34

TANQUEREL

goélette

Granville

03/06/1754

01/04/1754

6 000

35

TANQUEREL, Racine

 

Granville

18/06/1754

02/03/1754

6 000

36

THISON

 

Honfleur

15/05/1754

20/04/1754

3 000

37

TRANQUIÉLLY

 

 

24/06/1754

30/03/1754

10 000

38

VILLIOUX

 

 

 

30/03/1754

4 000

39

NON IDENTIFIÉ

navire

Granville

21/04/1754

23/03/1754

1 000

40

NON IDENTIFIÉ

navire

Olonne

23/04/1754

10/03/1754

3 000

41

NON IDENTIFIÉ

navire

Seudre

19/04/1754

01/04/1754

1 000

42

NON IDENTIFIÉ

navire

St-Malo

19/04/1754

18/03/1754

0


Entre le jour de son arrivée et la fin de sa pêche, le Saint-André va dériver principalement entre le 44º et le 46º parallèle Nord à l'ouest du banc Jacquet, n'allant pas au delà de 53 lieues à l'intérieur du Banc.


Carte du Grand Banc de Terre-Neuve - 
Musée canadien des civilisations

Figure 8 : Carte du Grand Banc de Terre-Neuve (détail)
H.-L. Duhamel du Monceau, Traité général des pesches, 1772, vol. 2, 1ère section, seconde partie, planche II, Musée canadien des civilisations.


Sur le Banc, c'est le capitaine qui dirige les activités. Il doit avoir une grande habitude de la pêche sur les bancs, bien connaître les hauts-fonds et leur position, être laborieux et patient, et ne point se décourager lorsque la morue n'est pas au rendez-vous. Il faut que son bâtiment soit bien approvisionné pour une campagne de six à huit mois et qu'il tienne son équipage continuellement occupé à la pêche. Si les pêcheurs ne trouvent point de poisson dans un endroit, le capitaine ira le chercher ailleurs et suivant les circonstances changera plusieurs fois de parages. Lorsqu'il trouve un lieu favorable à la pêche, il en profite et fait travailler son équipage avec toute l'énergie possible, de jour comme de nuit. S'il est pris dans une tempête, il fait amener les vergues, mouiller une bonne ancre avec deux ou trois câbles épissés les uns au bout des autres et fermer les écoutilles. On amarre la barre du gouvernail et attend le beau temps, renfermé dans son bâtiment 86.



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