Àmesure que l'économie du
Canada prenait de l'expansion au cours des années 50 et au
début des années 60, la question des pensions nationales
devenait un enjeu politique de taille. En 1951, le principe de
l'universalité était considéré comme l'aspect
le plus important du nouveau Programme de la sécurité de la
vieillesse. L'examen des ressources, qui faisait partie du programme de
pensions de vieillesse de 1927 était jugé humiliant; par
conséquent, en 1951, la Sécurité de la vieillesse fut
mise à la disposition de toutes les personnes à leur
70e anniversaire. Malgré ce changement important, les
gens considéraient encore la Sécurité de la
vieillesse comme un supplément aux économies des citoyens en
vue de la retraite, étant donné que les prestations
maximales étaient identiques à celles de la pension de
vieillesse. À la fin des années 50, toutefois, le Rapport
Beveridge très influent de 1942 (qui préconisait un
système complet de sécurité sociale qui, à la
longue, éliminerait la pauvreté) était toujours
très populaire. Un nombre croissant de personnes demanda un nouveau
régime de pensions gouvernementales qui ne serait plus simplement
un supplément, mais qui verserait aux gens un revenu leur
permettant de vivre.
En 1957, les prestations mensuelles de la Sécurité de la
vieillesse subirent une augmentation à deux reprises, en juillet et
novembre. En juillet, elles passèrent de 40 $ à 46 $ par
mois (6 $ représentent une augmentation de 15 p. 100 qui,
aujourd'hui, se traduirait par une augmentation d'environ 53 $). La
première augmentation, sous le gouvernement libéral de Louis
St-Laurent, était une tentative pour gagner des voix aux
élections de juin 1957. Cette manœuvre fut
considérée comme une erreur politique. Les termes moqueurs
de « garçons de six piastres » et de « Harris six
dollars » (en référence à W.E. Harris, ministre
des Finances du 1er juillet 1954 au 21 juin 1957) furent
utilisés par les conservateurs qui gagnèrent d'ailleurs les
élections. Le gouvernement conservateur nouvellement élu,
dirigé par le premier ministre John Diefenbaker, augmenta une fois
de plus les prestations de la Sécurité de la vieillesse, en
novembre, de 9 $, pour les porter à 55 $.
Comme un certain nombre de politiciens avaient soutenu tout au long des
années 50 que la Social Security Act américaine
donnait un bon exemple que le Canada pouvait suivre, le gouvernement
demanda à Robert M. Clark, un professeur d'économie à
l'Université de la Colombie-Britannique, d'étudier le
système américain. Il ressortit qu'un tel système ne
fonctionnerait pas au Canada en raison des différences
démographiques et économiques entre les deux pays.
Néanmoins, Clark fit l'éloge de l'inclusion des prestations
d'invalidité et de survivant par les États-Unis, ce qui
amena le gouvernement de Diefenbaker à inclure ces prestations dans
ses propositions de réforme. En outre, une exonération
d'impôt sur le revenu fut introduite permettant ainsi aux
travailleurs indépendants d'économiser de l'argent en vue de
leur retraite sous forme de cotisations à un Régime
enregistré d'épargne-retraite.
À la fin du mandat du gouvernement conservateur, tous les autres
partis politiques avaient élaboré des propositions en vue
d'un système de pension national contributif. Ainsi, au
début de 1963, lorsque le parti libéral revint au pouvoir
sous le leadership du premier ministre Lester B. Pearson, les pensions
étaient devenues un enjeu tellement prépondérant que
le gouvernement introduisit un projet de régime de pensions
contributif au bout de quelques mois. Pendant les deux années qui
suivirent, un comité sénatorial, dirigé par le
sénateur David Croll, étudia la question, qui fit l'objet de
discussions entre la ministre fédérale de la Santé
nationale et du Bien-être social, Judy LaMarsh, et les gouvernements
provinciaux, dans les divers partis politiques et dans le cadre de
consultations publiques. Alors que ces pourparlers se poursuivaient, les
prestations de la Sécurité de la vieillesse,
d'invalidité et d'aveugle subissaient des augmentations en
réponse aux pressions du public et de divers députés,
en particulier, Stanley Knowles, de la Fédération du
commonwealth coopératif.
Les pourparlers débloquèrent en avril 1964. En mars de
cette année, le premier ministre du Québec Jean Lesage
annonça que son gouvernement avait l'intention d'introduire un
régime de pensions contributif provincial, qui était plus
complet que le régime fédéral, et qui comprenait
notamment des prestations d'invalidité et de survivant, des
prestations plus élevées pour tous les participants et un
financement accru de la part du gouvernement provincial. C'était la
première fois qu'un gouvernement provincial cherchait à
assumer des responsabilités accrues dans le domaine de la
sécurité sociale, et ce fut donc une surprise pour le
gouvernement fédéral et les autres provinces. En outre, la
nature plus complète du régime de Lesage le rendait plus
attrayant. Cette initiative de Lesage est considérée comme
une des premières initiatives de la révolution tranquille du
Québec.
Après des jours de négociations, on convint que le
Québec aurait un Régime de rentes du Québec, qui
serait étroitement coordonné avec le Régime de
pensions du Canada. Cet arrangement fut possible grâce à la
modification constitutionnelle de 1951 qui donnait au gouvernement
fédéral le droit de verser des pensions de vieillesse ainsi
qu'à la disposition d'attribution de prépondérance
qui préservait la compétence des provinces dans ce
domaine.
Une fois cette question résolue, les provinces convinrent de
permettre un autre amendement constitutionnel pour que le Régime de
pensions du Canada puisse s'étendre au-delà des pouvoirs
existants du gouvernement fédéral de promulguer des lois
uniquement sur la protection de la vieillesse. Le Régime pouvait
maintenant inclure les personnes handicapées et les survivants des
cotisants au Régime, quel que soit leur âge. L'article 94A de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, ajouté en
1951 pour permettre au gouvernement fédéral d'introduire la
Sécurité de la vieillesse fut modifié à cet
effet.
Le processus de modification du Régime de pensions du Canada
constitua un autre aspect important de l'entente
fédérale-provinciale sur celui-ci. Les deux tiers des
provinces « participantes » doivent consentir les changements
au Régime, et ces provinces doivent compter les deux tiers de la
population totale du Canada. Une province non participante, comme le
Québec, serait considérée comme « participante
» à cette fin, tant qu'elle avait une entente avec le
gouvernement fédéral en vue d'offrir une protection aux
personnes travaillant sur son territoire et qui seraient autrement
assujetties au Régime (comme les travailleurs des banques et du
chemin de fer).
Le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du
Québec entrèrent finalement en vigueur en 1966. Un
Supplément de revenu garanti fut introduit en 1967 en vue d'aider
les personnes âgées et les personnes approchant de
l'âge de la retraite qui ne pouvaient pas tirer pleinement profit,
le cas échéant, du Régime de pensions du Canada ou du
Régime de rentes du Québec et qui avaient un revenu faible
ou nul, mis à part la Sécurité de la vieillesse.