La crise économique des
années 30 fit ressortir l'urgence du problème de la
pauvreté sur la scène politique nationale. Au fur et
à mesure que la Grande Crise s'aggravait, les gouvernements
provinciaux et les administrations locales demandaient au gouvernement
fédéral d'aider à financer les programmes d'aide
destinés aux chômeurs. Une aide accrue fut également
octroyée aux anciens combattants en 1930 grâce à
l'adoption de la Loi sur les allocations aux anciens combattants.
La majorité des Canadiens accepta facilement l'intervention accrue
du gouvernement fédéral dans les questions relatives
à l'aide sociale.
Comme la Première Guerre mondiale l'avait fait, le
déclenchement de la Seconde Guerre mondiale porta de nombreuses
personnes à discuter de la possibilité d'apporter des
changements sociaux fondamentaux. Le souvenir de la Grande Crise
encouragea la population générale et le gouvernement
à préconiser un système national de
sécurité sociale qui protégerait tous les Canadiens
contre la pauvreté extrême. Dans cet esprit, un Comité
de la reconstruction fut mis sur pied. Un certain nombre de rapports sur
les questions sociales fut rédigé pour ce Comité,
dont le Report on Social Security for Canada de Leonard C. Marsh,
de 1943. Dans son rapport, Marsh demandait l'instauration d'un
système national de sécurité sociale complet,
comprenant l'assurance contre la maladie, la vieillesse,
l'invalidité et la maternité, ainsi qu'une aide de base pour
les personnes qui ne pouvaient pas adhérer au régime
d'assurance.
Le Rapport Marsh devint très populaire dans tout le
Canada. Toutefois, de nombreux parlementaires s'y opposaient, certains
parce qu'ils craignaient que l'économie ne continue à
croître suffisamment pour financer un tel programme, d'autres parce
qu'ils considéraient encore que la pauvreté relevait
essentiellement de la responsabilité personnelle et familiale.
Aucune suite ne fut donc donnée aux propositions de Marsh au cours
de la guerre. Au contraire, deux nouveaux programmes sociaux nationaux
furent mis en place : l'assurance-chômage en 1940, pour
protéger les travailleurs contre une perte temporaire de leur
emploi, et les allocations familiales en 1945, pour compléter le
revenu des familles avec enfants. Ces programmes étaient
disponibles à tous les Canadiens, car aucun d'eux ne comprenait un
examen des ressources. De nouvelles pensions pour les anciens combattants
furent également mises en place.
Au cours des années 30 et 40, de nouveaux partis politiques et
groupes d'intérêts qui appuyaient la réforme sociale
virent le jour. Dans les années 30, la nouvelle
Fédération du commonwealth coopératif (FCC) devint un
défenseur particulièrement acharné de la
réforme sociale fondamentale, mais, au début des
années 40, tous les partis politiques nationaux avaient
intégré les questions de sécurité sociale dans
leurs programmes. En outre, en raison de l'augmentation
considérable du nombre de personnes syndiquées au cours de
la guerre, les syndicats devinrent bien plus puissants et
exercèrent des pressions en vue d'obtenir de meilleures prestations
d'aide sociale pour leurs membres. De nouveaux groupes de personnes
âgées et de pensionnés ajoutèrent encore un
autre degré à cette pression en vue de réformes dans
tout le pays.
Après la guerre, faisant suite aux pressions du public, divers
changements furent apportés en vue d'aider les personnes
âgées. En 1948, l'année où le premier ministre
Louis St-Laurent remplaça William Lyon Mackenzie King, une
exonération d'impôt sur le revenu fut accordée
à toutes les personnes âgées de 65 ans et plus. En
outre, le montant de la déduction fiscale que les travailleurs
pouvaient réclamer au titre des cotisations versées aux
régimes de pension privés fut augmenté, les
encourageant ainsi à y contribuer.
En 1950, un comité parlementaire mixte fut nommé pour
étudier les dispositions relatives aux personnes âgées
au Canada et dans d'autres pays, et pour faire des recommandations au
gouvernement. Le comité, composé de membres du Sénat
et de tous les partis représentés à la Chambre des
communes, recommanda de créer un programme de prestations à
taux fixe assujetti uniquement à des conditions de
résidence, pour toutes les personnes âgées de 70 ans
et plus.
Cependant, le changement le plus important fut apporté en 1951
avec la promulgation d'une pension nationale et universelle versée
en vertu de la Loi sur la sécurité de la
vieillesse, complétée par des prestations liées
au revenu, à frais partagés, versées aux termes de la
Loi pourvoyant à l'assistance-vieillesse. Ces deux lois,
qui remplaçaient la Loi sur la pension de vieillesse de
1927, entrèrent en vigueur le 1er janvier 1952.
Comme on considérait à l'époque qu'un programme
national de pensions universelles débordait des pouvoirs
conférés par la loi au gouvernement fédéral,
il a fallu modifier la Constitution avant d'introduire la Loi sur la
sécurité de la vieillesse, en ajoutant l'article 94A
à la liste de pouvoirs fédéraux existant
déjà dans l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique. Ce n'était que le deuxième amendement
constitutionnel de l'histoire du Canada concernant la division des
pouvoirs. Il est intéressant de noter que la première
modification constitutionnelle fut nécessaire en 1940 pour
conférer au gouvernement fédéral le pouvoir de
légiférer l'assurance-chômage, ce qui illustre
l'importance qui était accordée aux lois sur l'aide sociale
à cette époque-là.
L'amendement constitutionnel fut apporté malgré plusieurs
réunions et consultations entre Ottawa et les provinces. Toutefois,
c'est sur l'insistance du premier ministre du Québec Maurice
Duplessis que demeura dans la constitution la sous-clause prévoyant
la primauté des provinces, laquelle assurait que le Régime
de pensions du Canada (RPC) n'affecterait aucun régime provincial
de pension de vieillesse. En mai 1951, le gouvernement
fédéral et les dix provinces se mirent d'accord sur le texte
suivant :
[Traduction]
« Il est déclaré par la présente que le
Parlement du Canada peut, à l'occasion, adopter des lois relatives
aux pensions de vieillesse au Canada, mais qu'aucune loi promulguée
par le Parlement du Canada relativement aux pensions de vieillesse ne doit
influer sur l'application de toute loi actuelle ou future d'une
assemblée législative provinciale relativement aux pensions
de vieillesse. »