Les pensions de vieillesse ont
évolué relativement lentement au Canada. Entre la
Confédération et la Première Guerre mondiale, il y
eut une certaine activité concernant les prestations de pensions,
mais elle n'a pas touché la majorité des personnes
âgées de la nouvelle fédération. Les
dispositions constitutionnelles qui conféraient aux provinces la
compétence en matière d'aide sociale limitaient le potentiel
de recettes du fédéral à une époque
antérieure à l'imposition du revenu et les restrictions
administratives étaient en partie responsables. Il faut aussi
tenir compte de l'idéologie dominante selon laquelle la
sécurité économique au cours de la vieillesse relevait
des particuliers et de leurs familles, des paroisses ou congrégations,
ainsi que des institutions de bienfaisance. On ne considérait
pas les pensions comme un droit, et la prise de conscience du
problème des personnes âgées pauvres ne se fit
que graduellement.
Certains Canadiens vivant à cette période pouvaient
s'attendre à une certaine forme de remplacement du revenu au cours
de leur vieillesse. Quelques-uns reçurent des gratifications
discrétionnaires en raison d'un long service chez un employeur.
D'autres bénéficièrent de leur appartenance à
des régimes privés de pension d'employeur, comme ceux mis en
place par la Grand Trunk Railway en 1874 et la Canadian Pacific Railway en
1903.
Le gouvernement fédéral du Canada, qui avait la
compétence constitutionnelle sur les membres des Forces
armées et les employés fédéraux, promulgua en
1870 la Superannuation Act introduisant des pensions cotisables
pour les fonctionnaires fédéraux. En 1904, il adopta une loi
visant à inverser le taux de défection alarmant dans
l'armée canadienne, en augmentant la solde des militaires et en
octroyant une pension d'environ 110 $ par an aux soldats qui avaient 20
ans de service. En 1905, les autorités fédérales
versèrent aux membres du Conseil privé et aux ministres du
Cabinet une pension annuelle de 3 500 $.
C'était une somme d'argent importante à l'époque.
L'outil de calcul de l'inflation de la Banque du Canada permet de
déterminer l'équivalent de ce montant aujourd'hui. Il ne
remonte qu'à 1914, mais permet d'imaginer le montant de la pension
d'un ministre du Cabinet en 1905 en sachant que 3 500 $ en 1914
équivaudraient à 55 408,45 $ en l'an 2000.
Au niveau provincial, le Québec établit un régime
de pension de la fonction publique en 1876.
Cependant, pour la plupart des gens, l'épargne, les biens, la
famille et la collectivité demeuraient le seul recours lorsqu'ils
ne pouvaient plus travailler. Les personnes âgées qui ne
disposaient pas de ces ressources pouvaient se retrouver dans les asiles
des pauvres ou être même forcés de se réfugier
dans les prisons. Ceux qui n'avaient pas besoin de soins spéciaux
et qui pouvaient rester dans leur propre maison pouvaient recevoir une
petite aide financière ou quelques besoins fondamentaux, comme de
la nourriture et des vêtements. Les veuves pouvaient être
particulièrement vulnérables, car les femmes tendaient
à être dépendantes financièrement. Même
si le mari d'une femme avait un régime de pension d'employeur, il
n'y avait pas de prestations au conjoint, et les possibilités
d'emploi rémunéré pour les femmes âgées
étaient limitées.
Les personnes handicapées qui ne pouvaient pas travailler et qui
ne recevaient pas d'aide de leur famille ou de la collectivité
avaient peu de choix que de faire appel à la charité, aux
uvres de bienfaisance ou au placement en établissement. Les
personnes invalides à la suite d'un accident de travail avaient
très peu recours aux indemnités, car la première loi
sur l'indemnisation des accidents du travail ne fut adoptée qu'en
1914. Même si l'aide sociale à l'enfance faisait l'objet
d'une attention accrue vers la fin du 19e siècle, les
enfants de veuves et de personnes handicapées incapables de
travailler ne pouvaient obtenir l'aide financière qui est offerte
aujourd'hui grâce aux prestations de régimes de pensions
privées et gouvernementales.
La disponibilité et les normes de l'aide variaient d'une
région à l'autre du pays. Ceci était dû
à l'absence de loi ou de politique dérogatoire en vue
d'éviter la pauvreté et au fait que la responsabilité
provinciale en matière d'aide sociale retombait grandement sur les
épaules des municipalités, des églises et des organismes
caritatifs privés.
Toutes les formes d'aide, publique ou privée, permettaient tout
au plus de survivre. De plus, elles exigeaient des demandeurs un examen
minutieux de leur vie et de leur situation familiale. Les administrateurs
de l'aide essayaient de convaincre les familles de prendre en charge leurs
propres membres. Les personnes âgées qui étaient
placées dans les établissements publics perdaient leur droit
de vote. En outre, les municipalités revendiquaient souvent les
biens des personnes âgées placées dans les
établissements publics pour s'assurer qu'elles défrayent le
coût des soins qu'elles recevaient.
Au tournant du siècle, l'industrialisation avait
créé une classe ouvrière qui dépendait de plus
en plus d'emplois faiblement rémunérés et souvent
saisonniers. Luttant pour survivre de revenus maigres et incertains, un
nombre croissant de personnes trouvaient difficile de subvenir aux besoins
de leurs parents âgés ou de subvenir à leurs propres
besoins dans leur vieillesse. Émus par leurs difficultés,
les réformateurs sociaux et les mouvements syndicaux, y compris les
adeptes du Social Gospel, comme le Moral and Social Reform
Council et le Congrès des métiers et du travail du
Canada, attirèrent l'attention du gouvernement
fédéral sur la question d'un programme national de pensions
pour les personnes âgées les plus pauvres. Craignant le
coût et toujours convaincues que le bon régime
d'épargne et un peu d'autodiscipline de la part des travailleurs
résoudraient le problème, les autorités
fédérales adoptèrent en 1908 la Loi relative aux
rentes sur l'État. Cette loi prévoyait la vente de
rentes sur l'État allant jusqu'à 600 $.
Les cotisations étaient facultatives, le calendrier des
paiements pouvait être adapté pour convenir à la
personne en question, et les conditions étaient meilleures que
celles offertes dans le secteur privé. À un âge
précis, l'acheteur devait recevoir des prestations annuelles d'un
montant fixe. Toutefois, un nombre minime de ces rentes a
été vendu, et la majorité des prestations fut
versée à des personnes qui n'étaient pas les plus
vulnérables. Les personnes très pauvres ne pouvaient pas
économiser d'argent pour cotiser à un tel régime; un
bon nombre d'entre elles parvenait tout juste à survivre.