Durant la période comprise entre la
Confédération et la Première Guerre mondiale, les
pensions étaient réservées à quelques
privilégiés. La majorité des Canadiens travaillaient
jusqu'à un âge avancé et lorsqu'ils n'en avaient plus
la capacité, ils devaient vivre de leurs propres ressources ou
dépendre de leur famille et de la communauté. Pour
échapper à la misère, les personnes
âgées, sans travail et sans support, pouvaient s'adresser aux
bureaux de bienfaisance ou aux œuvres de charité
privées existantes. Ces organismes fournissaient une aide
insuffisante, et de plus, pour la recevoir, les requérants devaient
se soumettre à des tests d'admissibilité dégradants
visant à éliminer ceux qui n'en étaient pas «
dignes ».
Au 19e siècle, la population totale comptait beaucoup
moins de personnes âgées qu'aujourd'hui, et les gens ne
vivaient pas aussi longtemps. Parallèlement, la pauvreté
chez les personnes âgées n'était pas un
problème très apparent, jusqu'à ce que l'essor
industriel attire les gens vers les centres urbains où les
conditions de vie pouvaient être dures, la survie économique
précaire et les systèmes traditionnels de soutien social
surchargés.
L'idée d'un système de pensions gouvernementales pour les
personnes âgées mit du temps à germer.
L'idéologie du 19e siècle insistait sur
l'importance de l'autonomie personnelle, même dans la vieillesse. On
croyait que la pauvreté découlait d'une déficience de
caractère, de l'imprévoyance ou d'un manque de discipline
personnelle. On pensait qu'il incombait à la famille et à la
collectivité de prendre soin des membres pauvres et
vulnérables de la société, notamment des vieillards.
Le gouvernement n'avait pas à intervenir ou à assumer cette
responsabilité. Ainsi, l'aide de l'État, si minime fut-elle,
était réservée à ceux qui étaient seuls
au monde et sans ressources. Les modèles d'œuvres de bienfaisance
que le Canada hérita de l'Angleterre s'ajustaient à cette
philosophie puisqu'elles insistaient sur le fait que les municipalités
et les collectivités étaient responsables de leurs pauvres et
qu'elles établissaient une forme de discrimination envers les
mendiants « dignes » et « indignes ».
Au cours de cette période et pendant une bonne partie du 20e
siècle, l'Église catholique romaine joua un rôle si
important dans les uvres de bienfaisance au Québec que son
régime d'aide sociale se distingua de celui des autres provinces.
Ceci s'explique par le fait que l'Acte de Québec,
promulgué par le Parlement britannique en 1774, conservait à
l'Église catholique romaine son rôle
prépondérant dans bien des aspects de l'élaboration
de la politique sociale au Québec, notamment en ce qui concernait
l'éducation et les œuvres de bienfaisance.
La doctrine chrétienne originelle envisageait la pauvreté
non seulement comme un élément normal d'une société
hiérarchisée, mais comme une condition bénie permettant
un rapprochement avec Dieu, car « il est difficile à un homme riche
d'entrer dans le Royaume des cieux ». Cependant, l'on insistait tout
autant sur la charité, donc sur l'atteinte d'une certaine dignité
matérielle (Matthieu 19 : 21-23). Au fil des siècles, tout en
préservant cette doctrine, l'Église en est venue à donner
un plus grand rôle à la distribution de la richesse. Plus tard,
en partie par une évolution interne de la pensée des églises
chrétiennes, en partie en réaction aux idées socialistes,
l'amélioration concrète de la condition humaine a acquis
davantage d'importance. L'on en est venu à admettre qu'il était
légitime à l'État, par une action uniforme, de pourvoir
à ces besoins lorsque la charité individuelle ou institutionnelle
s'avérait insuffisante.
Même si le gouvernement fédéral avait voulu
établir un régime de pension de vieillesse, il se serait
heurté à des obstacles constitutionnels. En effet,
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867
conférait aux provinces la juridiction exclusive en matière
d'aide sociale dans leurs territoires. De plus, certaines
considérations financières entraient en ligne de compte car
les recettes des gouvernements provinciaux et fédéral
étaient limitées. Quoique appréciables, les
ressources dont disposait alors le gouvernement fédéral
n'étaient pas aussi importantes qu'elles le deviendraient plus
tard. L'impôt sur le revenu, par exemple, ne devint en vigueur
qu'à partir de la Première Guerre mondiale. Le gouvernement
fédéral axait ses priorités sur le
développement économique et l'édification d'une
nation transcontinentale viable.
Toutefois, au début du 20e siècle,
l'industrialisation et l'urbanisation modifièrent les mœurs
professionnelles et familiales. En raison de ces changements, un nombre
croissant de personnes âgées terminaient leur vie dans les
asiles des pauvres ou des « foyers pour les vieux », comme on
les appelait.
Les réformateurs de la société canadienne subirent
l'influence des autres pays occidentaux qui avaient connu, bien avant nous
l'industrialisation et ses retombées sociales. Ils furent
également convaincus que les personnes âgées et
pauvres avaient droit à une considération toute
spéciale. Ces réformateurs préconisèrent donc
le remplacement des pratiques en vigueur par un programme national de
pension de vieillesse. Le gouvernement fédéral opposé
à cette suggestion opta en 1908 pour un Programme de rentes
gouvernementales pour ceux qui pouvaient se le permettre. Ce programme ne
fut jamais très populaire et cessa d'ailleurs la vente de ses
rentes en 1975. Néanmoins, Développement des ressources
humaines Canada continue de verser des prestations de ce régime
pratiquement tombé dans les oubliettes; ce qui prouve la
très longue durée des régimes de pension.
La création du Programme des Rentes sur l'État changea
peu de choses. Il fallut attendre près de vingt ans pour que soit
prise la première mesure significative en vue de remplacer les
œuvres de bienfaisance pour indigents par une reconnaissance du
droit des citoyens âgés à un minimum d'aide de la
société.